
LE TEMPLE DE RODEZ (AVEYRON)
C’est à plusieurs titres que l’étude de ce bâtiment, inauguré en juin 1947, est particulièrement intéressante :
1. Sa construction marque définitivement l’assise du protestantisme dans une ville (oh, combien !) attachée au catholicisme et après des décennies d’une coexis-tence conflictuelle.
2. Il est le résultat de l’obstination du pasteur Ildebert Exbrayat, en poste à Rodez de 1938 à 1949.
3. Son architecture originale diffère totalement de celle des temples habituels,
autres que ceux ayant déjà investi des lieux en place, et mérite que l’on s’attarde, comme nous le verrons, sur le pourquoi. Ce temple est situé au centre de la ville,pas loin du Palais de Justice, rue du Général Viala, tout près de l’intersection avec la rue Louis Lacombe.
Même si un document d’archives(consulté aux A.D. Aveyron), mentionne le passage (tumultueux) de Jean Calvin à Rodez, l’implantation de la religion réformée à Rodez a été tardive et quelque peu ponctuelle. Nous n’avons que très peu d’écrits réels sur son histoire. L’Aveyron protestant a toujours été celui des territoires de l’est : Millau, Saint-Affrique et le sud Aveyron où des communautés et des paroisses étaient très vivantes dès le XVIIIème siècle. A Rodez, il faut attendre la deuxième moitié du XIXème pour voir signalée une petite communauté protestante qui cherche et qui lutte pour avoir une identité.
Elle peine – en vain – à disposer d’un lieu de culte malgré, apparemment, une bonne volonté municipale. Les relations entre les deux communautés sont parfois diffi-ciles voire proches de la violence.
Il faut attendre les toutes premières années suivant la Guerre Mondiale de 1914-1918 et un évènement fortuit, pour qu’un déclic se produise. En raison d’une inhumation à Rodez, le pasteur Delteil, en poste à Millau vient présider la cérémonie. Il est alors frappé par la foi des protestants ruthénois, par leur isolement et surtout du peu de considération dont ils bénéficient dans cette préfecture hautement liée à un catholicisme peu tolérant. A tel point qu’il décide de leur venir en aide, en demandant d’exercer sa vocation pastorale dans la préfecture aveyron-naise. Il obtient ce changement de vie et se consacre désormais à cette petite communauté. Son premier objectif est de trouver un local comme lieu de culte,fixe et décent. Cette quête de local ne se fait pas sans mal, le dernier en date sera une salle du Tribunal, pour le culte du dimanche.
C’est dans ce contexte qu’en 1938, arrive le Pasteur I.Exbrayat dont il convient de retracer le riche parcours.
Il est né en 1913 à Calvisson dans le Gard, dansle terroir du Vaunage, entre Nîmes et Uzès où le protestantisme est présent. Son père est catholique, mais non pratiquant et s’oppose au baptême de ses enfants. Malgré tout sa grand-mère huguenote lui parle, en cachette, de la Bible et lui transmet certaines valeurs qui le marque-ront. Son adolescence est dans la norme d’un adolescent plein de vie jusqu’au jour, où, à l’occasion de la cérémonie religieuse pour la mort accidentelle de son frère, il entre dans un lieu de culte. La Révélation se produit, selon ses dires, comme celle de Paul aux portes de Damas. Il décide de se consacrer à une vie pastorale et dès 1933, il est prédicateur laïc.
Sans doute, depuis les nombreux séjours dans la région de Charles COOK (1787-1858), évangélisateur britannique ayant pris le relais de Ch.WESLEY, le courant méthodiste qu’il y introduit, est très présent localement et Exbrayat n’en-visage sa formation théologique que dans le cadre du méthodisme. Il part à Richmond, en Angleterre où existe une faculté méthodiste, faire son cursus qu’il ter-mine en 1938. Les accords passés entre l’ERF et la Conférence française lui per-mettent de prendre en charge une paroisse en France. Le voici nommé à Rodez, où, le Préfet de l’époque n’est autre que Jean Moulin.
Son activité sera débordante pendant toutes ces années de guerre, mais quatre faits essentiels sont à relater, en dehors de son rôle de pasteur, marqué par une grande activité d’évangélisation, en particulier auprès des jeunes :
1. Il s’engagera directement et très tôt dans les mouvements de la résistance à l’ennemi. Sa participation sera effective, il laissera à la postérité plusieurs écrits relatant ces épisodes le plus souvent sanglants.
2. Il démontrera combien son humanisme est grand : outre son action dans la lutte contre le proxénétisme et l’aide aux prostituées, c’est dans le sauvetage (à ses risques et périls mais aussi de ceux des siens), des juifs pourchassés par l’occupant qu’il va développer une grande énergie. A ce titre, par l’efficacité de son action, il recevra en 1985, de l’Etat d’Israël, le titre de Juste parmi les Nations. Actuellement moins de 3500 Français ont obtenu cette très haute distinction.
3. On ne peut passer sous silence son attitude dans un épisode très douloureux, celui du massacre de Sainte Radegonde, un hameau proche de Rodez, qui vit l’exécution sommaire de 30 patriotes par l’armée allemande en août 1944. Lors des émouvantes obsèques, I. Exbrayat fut amené à prendre, spontanément, la parole. Il le fit en de tels termes que l’immense foule rassemblée pour cette occasion, prit conscience que le pro-testantisme avait des valeurs qu’elle ne soupçonnait pas. On peut affirmer qu’après ce douloureux épisode la religion réformée fut acceptée et tout le passé conflictuel fut oublié.
4. Sa grande oeuvre sera bien sur la construction du Temple. Dès son arrivée à Rodez, doter la communauté protestante d’un lieu fixe de culte devint sa préoccupation essentielle. Mais les problèmes étaient très importants : terrain, financement,… mais aussi en raison des réticences plus ou moins avouées à un tel projet dans certains milieux.
Toute cette période de la guerre lui a permis de nouer des relations, en particulier avec la grande figure politique de l’époque en Aveyron, qu’est Paul Ramadier. Bien que de bords différents, les deux hommes s’apprécient et créent des relations fructueuses. La construction du temple en sera facilitée. Tout d’abord par l’octroi par la municipalité d’un terrain, certes peu amène au départ (voir photo ci-dessus), mais qui s’avèrera finalement utilisable après de gros travaux de terrassement. Nous ne détaillerons pas les différents épisodes de la genèse de la construction (rapide, étalée sur moins de deux ans), pour résumer notre propos à l’analyse architecturale du bâtiment fini. Le financement (2,5millions de francs de l’époque) du temple sera assuré par les paroissiens, la communauté juive reconnaissante, la Société évangélique ainsi que par diverses subventions. L’intervention de Paul Ramadier se manifestera en cours de construction lorsque des ordres de destruction venant de Paris seront donnés mais rapidement annulés.
L’inauguration, le 8 juin 1947, donnera lieu à de grandes manifestations fraternelles présidées par le pasteur Marc Boegner et suivies par une foule immense. I.Exbrayat restera encore 2 ans en poste à Rodez, il ira ensuite vers d’autres cieux poursuivant, toujours sans défaillance, son oeuvre d’évangélisation et de construction (Temple à Frontignan). A l’âge de la retraite, il regagne son fief natal à Calvisson, où il meurt en 2002.
Revenons au temple lui-même. Son architecture est loin des canons habituels, il évoque, pour nous, une église, au sens catholique du terme, comme bien des non-initiés le reconnaissent. Nous sommes loin des édifices cultuels conçus comme des salles de réunion type basilique.
Les plans, pour lesquels nous n’avons, curieusement, aucune source archivistique ont été confiés à un architecte parisien d’origine suisse AlöysVerrey, auteur de nombreux bâtiments civils à Paris mais aussi d’églises et de temples (comme à Saint-Lô), en différents lieux du monde. Il était proche des milieux protestants. On ne retrouve pas ici son style, sa marque personnelle Ce qu’il a réalisé à Rodez ne peut être dû qu’à la volonté affirmée du commanditaire, le pasteur Exbrayat, qui, à notre avis, a imposé à l’architecte ses vues architecturales pour le fonctionnement de l’ensemble. Il nous a laissé un dessin d’architecte que nous publions ci-dessous.
Extérieurement le bâtiment, de plan rectangulaire, présente une grande élévation à 2 niveaux. Le niveau inférieur est consacré à une vaste pièce de près de 200m², dite d’évangélisation, tout à fait dans le contexte méthodiste. Elle servait ces dernières décennies à des réunions diverses. Au-dessus, c’est la grande salle du culte, pouvant accueillir 150 personnes. Elle est largement ouverte à la manière d’une église, par 4 travées verticales scandant le support à deux ouvertures, dont la supérieure, celle qui correspond à la salle du culte, et, qui lui donne tout son éclairage, est couverte d’un arc en mitre, motif architectural assez rare en Occident, mais présent ponctuellement, de l’époque romane à la fin de l’ère finale du gothique. Pourquoi l’arc en mitre ? Est-ce un rappel de l’architecture religieuse médiévale du Midi comme à Saint Sernin ou à Saint Nicolas dans la métropole toulousaine, ou, est-ce une référence à de nombreux édifices religieux d’Angleterre ou d’Amérique pour la plupart de tradition méthodiste, voire à une tradition wisigothique qui a laissé bien des traces dans notre région ? En façade, un clocher couvrant un petit narthex est orné d’une grande croix nue insérée dans une baie aveugle couverte, là aussi, d’un arc en mitre. Il protège la porte d’entrée en bois marquée d’une grande croix de Lorraine, référence à l’engagement du pasteur dans les mouvements de la Résistance.
L’intérieur associe nef unique sans bas-côtés et abside avec un arc triomphal ogival, en pierres appareillées, qui la sépare d’un choeur à chevet plat. C’est une disposition inhabituelle pour un lieu neuf de culte protestant. Dans le choeur, il n’y a pas de chaire mais une massive table d’autel en pierre, monobloc, solidement
ancrée dans le sol. Cela correspond à la tradition méthodiste qui engage les fidèles à participer à une Cène journalière. La chaire, lieu du sermon, est à droite et à gauche au même niveau que l’autel, se positionneune grande cuve baptismale. Toute cette topologie correspond à un édifice de tradition méthodiste.
L’éclairage provient d’une grande croix nue, en carreaux de verre translucide, creusée dans le mur oriental, amortie par un arc en mitre. C’est une croix de ré-surrection et non de mort. Aux angles de ses branches des pierres de champ, symbolisent, à notre sens, la présence des quatre apôtres : l’Evangile est toujours présent et fort, son message toujours actuel. Cette iconographie est assez inédite dans un lieu de culte réformé.
L’entrée de la salle est marquée comme l’arc triomphal, par une arcature ogivale en pierres apparentes avec en arrière une tribune.
Au cours des années suivantes seront construits un presbytère et une librairie évangélique sur des plans du même architecte. La paroisse ruthénoise sera ainsi dotée d’un ensemble fonctionnel tout à fait remarquable qui lui a permis un très bon fonctionnement pendant des décennies.
Mais les temps ont changé…… Atteints par la limite d’âge, les effectifs cotisants diminuent. Le poste pastoral a été très récemment supprimé. Heureusement lors des journées du patrimoine 2017, nous avons pu animer et surtout faire connaître le lieu avec une conférence, des portes ouvertes… Le succès a été très grand, la métropole ruthénoise a découvert l’existence d’un réel patrimoine qu’elle ignorait totalement, qui entre depuis dans les propositions de visites touristiques de l’Office de tourisme. Mais qui dit patrimoine dit mise en valeur et conservation. La conservation posera, vraisemblablement, à moyen terme, des problèmes qu’il faudra résoudre car ce bâtiment représente un incontestable joyau architectural à ne pas abandonner.
Raymond LAURIÈRE, Docteur en Histoire de l’Art. 23 mai 2018.